Histoire des radios libres (1)

Publié le par Thierry Lefebvre

EXTRAIT D'UNE INTERVIEW DE THIERRY LEFEBVRE RÉALISÉE PAR RÉMY DEVÈZE (FRANCE 5, 2006) : RD - Où se situe le démarrage des radios libres ou pirates en France ? TL - Il y a eu des radios pirates en France depuis les années 20. On en compte davantage dans les années 60, certaines étant liées à la guerre d’Algérie, ou à d’autres événements. Il existe également des radios de campus (comme Radio Campus à Lille), mais qui ne sont pas à proprement parler des radios « libres » telles qu’on va les voir dans les années 70. RD - De quand date l’arrivée des premières radios FM ? TL - Les premières radios FM apparaissent sporadiquement en 1975, avec des essais tentés par le groupe de la revue "Interférences", dont on entendra parler plus tard. Ce magazine a été créé par Antoine Lefébure et Jean-Luc Couron, deux thésards qui s’intéressent de près à cette question. Le premier numéro paraît en décembre 1974 et nos deux penseurs annoncent ce que deviendra le mouvement dans un texte assez prophétique. D’autre part, Lefébure, qui travaille avec Patrick Vantroeyen (le futur initiateur de Radio Ivre), décide de lancer Radio Active à l’occasion d’une semaine de l’écologie anti-nucléaire. Et cette Radio Active doit émettre de Jussieu, du 5e étage de la tour centrale. L’émission, annoncée dans "Libération" le jour même, n’aura pas lieu parce que des personnes (des RG ou des policiers en civil) ont réussi à s’introduire dans le local où se trouvait le matériel. La deuxième tentative, c’est une autre radio également dénommée Radio Active, qui naît du côté de Grenoble, à l’occasion du conflit autour de Creys-Malville et de l’implantation de la centrale Super Phénix. Toujours dans une perspective écologiste, donc. RD - L’idée de ces radios itinérantes, de ces radios de lutte, c’est un concept qui a fait florès. TL - Tout à fait. Le but étant de se synchroniser avec des événements locaux, de les annoncer, de les commenter, dans des émissions très courtes puisque le pouvoir utilise ce qu’on appelle la « radiogoniométrie » pour en identifier la provenance. Cette Radio Active autour de Super-Phénix émet d’une voiture dont le radio-cassette est équipé pour diffuser directement grâce à l’antenne, et donc pour échapper rapidement à la DST. RD - Comment réagissent les autorités : détection, brouillage, saisies ? Quelle est la réaction de défense du monopole face à ces initiatives ? TL - On garde une trace de brouillage de Radio Active en février 1977, donc avant le début du mouvement avec Radio Verte. Apparemment, l’ordre vient de la DST, qui supervise toutes les émissions sur le territoire français, tandis que TDF est chargée de brouiller les contrevenants. Cette situation est à l’origine, vers 1978 ou 1979, de conflits internes avec les syndicats chez TDF, et donc de la création d’une filiale, TDI (Télédiffusion Internationale), chargée du brouillage dans la région parisienne. RD - Une structure qui évitera d’embaucher des syndiqués… TL - Bien sûr. Avec des emplois relativement précaires, en plus. RD - Puis on arrive à la phase « historique », avec le fameux coup de Lefébure sur le plateau d’Antenne 2… TL - Lors des élections municipales de 1977, les Amis de la Terre (sous l’intitulé « Paris Écologie ») recueillent quelque 10 % des voix à Paris, marquant l’émergence de l’écologie politique. À cette occasion, Brice Lalonde et Antoine Lefébure, qui se connaissent depuis quelques mois, concoctent un « coup » pour impressionner les médias : ils font croire qu’une radio, Radio Verte, est en mesure d’émettre. Sur le plateau d’Antenne 2, Lalonde sort un transistor tel qu’on en avait dans les années 70, monte un peu le son et l’on entend une sorte de bruit. Mais en fait, Lefébure (qui s’est fait passer pour le garde du corps de Lalonde pour pénétrer sur le plateau !) ne transmet qu’une cassette pré-enregistrée. Il a fait bricoler un appareil minuscule qui émet à quelques dizaines de mètres, pour laisser croire qu’une émission se déroule effectivement à ce moment-là. Ce coup médiatique connaît un impact considérable puisque 5 millions de téléspectateurs assistent à cette scène en direct. Tous les journalistes veulent interroger Lalonde : « C’est extraordinaire, c’est une première ! »… et l’affaire est lancée. RD - En fait, cette soi-disant radio n’émet que sur le plateau. TL - Juste pour les médias, en effet. Précisons que Lefébure et Lalonde ont l’habitude de jouer avec les médias. Et le lendemain, la presse titre : « Les Radios Vertes débarquent sur la France ». RD - Lalonde annonce : « Nous lançons DES Radios Vertes », au pluriel… d’où les titres du lendemain. TL - Tout à fait. Au départ, Paris Écologie et des Amis de la Terre souhaitent lancer une multitude de petits émetteurs de faible puissance, un par arrondissement. Lefébure et son équipe envisagent une puissance de l’ordre de 100 watts pour couvrir Paris et une partie de la banlieue. D’où un conflit entre les Amis de la Terre et l’équipe d’"Interférences", qui assure la technique. RD - Que vient faire Jean-Edern Hallier dans cette histoire ? TL - Antoine Lefébure écrivait des articles pour l’"Idiot international", journal fondé et dirigé par Jean-Edern Hallier, qui connaissait également très bien Brice Lalonde. À ce moment précis, Hallier représentait une solution de sauvetage puisque, au départ, l’émission devait se faire depuis les locaux du "Nouvel Observateur". [À suivre...] La vraie histoire des radios libres dans : Thierry Lefebvre, LA BATAILLE DES RADIOS LIBRES (1977-1981), Paris, Nouveau Monde/INA, 2008, 421 pages, ill., 26 €. [En librairie à partir du 2 mai 2008.]

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R
Radio Campus Lille a effectivement démarré ses émissions en 1969 dans un bâtiment de la cité scientifique de Villeneuve d'Ascq.Elle était et est encore aujourd'hui une radio libre, culturelle et ouverte sur le monde.On peux écouter sa programmation (100 émissions hebdomadaires réalisées par 200 animateurs dont 50 étudiants) sur www.campuslille.com (archives écoutables et téléchargeables durant 2 mois).Bonne écouteRené Lavergnevice-président de Radio Campus Lille 106.6 fm
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J
Merci Thierry pour votre travail précis et fidèle à la réalité... . C\\\'est bien utile pour tous ceux qui ont vécu cette enthousiasmante période!  A quand un livre pour rétablir l\\\'histoire, la vraie... ? <br /> Jean-Marc de Félice<br /> jmdefelice@wanadoo.fr
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T
Bonjour Jean-Marc. Le livre est pratiquement terminé. Il est gros. Il portera sur la période 1975-1981. Ce sera très différent de la doxa Cojean-Eskenazi, sans doute incomplet mais le plus précis possible.<br /> Sortie au second semestre 2007 si les éditeurs ne s'effraient pas du nombre de signes (800.000), et des images voire des sons qu'il mériterait.<br /> On en reparlera !