Histoire des radios libres (2)

Publié le par Thierry Lefebvre

RD - À partir de cette date, des centaines de gamins à travers tout le territoire se disent : « Pourquoi pas moi ? » Quelles sont leurs motivations ? TL - Vaste sujet ! Ce mouvement n’a pas une structure uniforme. On trouve un certain nombre de passionnés de radio, des gens qui ont l’habitude de communiquer par ondes courtes, qui connaissent le principe des émetteurs et qui se demandent : « Pourquoi pas investir la bande FM ? » RD - Ces fameux radio-amateurs ? TL - Bien sûr, ceux qui écoutaient les radios pirates anglaises des années 60, Caroline, Veronica, etc. Certains franchiront le pas à un moment donné et créeront des radios… Il s’agit de vrais passionnés de radio, de personnalités généralement attachantes. Et puis on retrouve les écologistes dans différents endroits : Radio Verte en mai 1977, dans la foulée Radio Verte Fessenheim (contre la centrale de Fessenheim). Radio Verte Béziers, qui deviendra Radio Pomarèdes (la radio de Robert Ménard, l’actuel secrétaire général de Reporters sans frontières). On trouve également un certain nombre d’organisations gauchistes sur le déclin qui vont relancer leurs activités d’agitation par le biais de ce nouveau média. Cette hétérogénéité sera à l’origine du futur conflit entre l’ALO (Association pour la libération des ondes, dirigée par Antoine Lefébure) et la FNRL de Jean Ducarroir et Patrick Farbiaz. L’ALO s’intéresse plutôt au côté technique et le rapport à l’économie marchande ne la gêne pas particulièrement. D’autres se révèlent totalement réfractaires à la publicité. Et même si tout ce petit monde travaille toujours dans l’illégalité la plus totale, le clivage s’opère sur ce problème. RD - Des scissions se produisent déjà sur le thème de la publicité ? TL - C’est le motif avancé. En réalité, des problèmes de pouvoir ont surgi au sein de toutes ces structures. Des personnalités fortes s’opposent, parfois violemment. Mais l’argument avancé dans le début de cette scission, c’est le rapport avec les forces de l’argent, mais aussi le rapport avec les partis de pouvoir – et le Parti socialiste en particulier… Bref, c’est une histoire extrêmement complexe. RD - Il faut se rappeler que la droite est au pouvoir depuis longtemps, les Français aspirent à voir ne serait-ce que des nouvelles têtes, à défaut d’un nouveau parti. Et même à droite, des jeunes s’engagent dans le mouvement des radios libres. Ils ont au moins le mérite d’avoir existé… TL - À Montpellier, Radio Fil Bleu est montée par des gens de droite. Elle sera à l’origine de débats devant les tribunaux afin de poser la question de la validité du monopole : a-t-il toujours lieu d’être en 1977 ou en 1978 alors qu’il date de 1945 ? Radio Fil Bleu avait été montée par un petit groupe d’avocats assez proche du Parti républicain, donc de la majorité présidentielle et de Giscard d’Estaing. Parmi les avocats, Chassaing joue un rôle considérable : il se revendique à droite mais gardera des relations régulières avec l’ALO. Chassaing avance l’idée que la droite et la gauche peuvent se retrouver pour obtenir un élargissement des libertés. Par « élargissement des libertés », il entend aussi liberté commerciale, bien sûr. RD - La position des politiques, à droite comme à gauche, me semble totalement paradoxale : la droite libérale refuse de libéraliser et la gauche brisera un « service public »… TL - On assiste effectivement à un paradoxe politique. Mais cette situation reste liée au rapport de forces au sein de la majorité. Le RPR, opposé au principe de la disparition du monopole, garde un poids considérable dans la majorité. Le PS y demeure globalement opposé, même s’il y a des frictions internes sur ce sujet. Quant aux communistes, ils accepteraient l’idée de radios municipales (uniquement pour certaines municipalités communistes, évidemment !). Globalement, tous les partis représentés à l’Assemblée nationale se positionnent contre l’ouverture du monopole. RD - Par peur de voir apparaître des contre-pouvoirs ? TL - Voilà. Le PS sent que l’alternance est possible en 1978 avec les législatives ou en 1981 avec la présidentielle et il s’imagine que cet outil peut le servir une fois le pouvoir conquis. Cette situation complètement figée conduira au renforcement de la répression, avec la loi Lecat de 1978, quand ce secrétaire d’État à la Communication renforce les sanctions. RD - Il restait, en effet, une sorte de vide juridique autour des radios libres et Giscard décide de durcir la loi. Quand et comment ? TL - À partir de Radio Verte en 1977, des dizaines de radios locales (entre 100 et 200) éclosent un peu partout, même si elles n’émettent pas en permanence, loin de là. Le pouvoir essaie donc de brouiller systématiquement dès qu’il est informé d’une émission, de saisir les radios, d’exercer des pressions variées, comme la dissolution des associations dont le but est d’émettre, bref, les rapports s’enveniment. D’un autre côté, Radio Fil Bleu porte l’affaire devant les tribunaux et parvient à démontrer qu’il reste un vide juridique permettant aux radios de s’engouffrer dans la brèche. RD - Comme en Italie, finalement ? TL - Exactement. La situation est bien plus anarchique en Italie, mais les prémices français font peur et le gouvernement prend une mesure d’urgence en renforçant la répression. Cette fameuse loi de l’été 1978 freinera le mouvement des radios libres : après cette date, il est impossible de relancer une activité aussi exubérante qu’auparavant. RD - Et de vrais procès s’engagent… TL - Sans conséquences gravissimes pour la plupart, mais les jugements sont complètement aléatoires : des personnes jugées pour complicité dans l’affaire Radio Aventure (qui émettait à Bondy), simplement accusées d’avoir fourni des bandes, sont condamnées à de lourdes amendes et à des peines de prison avec sursis. D’autres, plus impliqués, s’en sortent indemnes. [À suivre...] La vraie histoire des radios libres dans : Thierry Lefebvre, LA BATAILLE DES RADIOS LIBRES (1977-1981), Paris, Nouveau Monde/INA, 2008, 421 pages, ill., 26 €. [En librairie à partir du 2 mai 2008.]

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P
<br /> <br />    Je suis en train de lire le livre, avec beaucoup de plaisir et d'intérêt. Ayant partici-<br /> <br /> <br /> pé aux débuts de Radio Uylenspiegel dans le Nord, je trouve que le rôle et l'impor-<br /> <br /> <br /> tance de Radio Campus dans le mouvement auraient pû être mis davantage en<br /> <br /> <br /> exergue. A ce bémol près, bravo pour le sérieux du travail accompli! Salutations<br /> <br /> <br /> <br />
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